Croissance : impact de l’inégalité sur l’économie mondiale

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Entre 1990 et 2020, la part du revenu mondial détenue par les 1 % les plus riches est passée de 16 % à 23 %, alors que la croissance du PIB mondial ralentissait. Dans certains pays, une hausse du PIB s’accompagne d’une stagnation, voire d’une diminution, du pouvoir d’achat des classes moyennes.

La Banque mondiale estime qu’une augmentation de 1 point de l’indice Gini peut réduire la croissance annuelle de plus de 0,5 point dans les économies émergentes. Les stratégies traditionnelles de stimulation de la croissance ignorent souvent ces dynamiques internes.

L’inégalité économique mondiale : un état des lieux préoccupant

Les chiffres donnent le ton : l’ascension fulgurante des inégalités mondiales transforme l’économie mondiale à une vitesse rarement observée. D’après le dernier rapport sur les inégalités dirigé par Thomas Piketty, la concentration des revenus dans les pays les plus avancés atteint des niveaux records, inédits depuis l’après-guerre. Paradoxalement, la hausse des inégalités de revenus à l’intérieur des grandes puissances économiques, des États-Unis à la France, contraste avec un léger rapprochement entre pays, tiré par la progression de la Chine et de l’Inde.

Les analyses de Branko Milanovic et François Bourguignon révèlent une réalité complexe : certes, l’écart entre nations tend à se réduire, mais, simultanément, la montée des inégalités internes marque la plupart des économies, qu’elles soient émergentes ou développées. Ce constat se vérifie au travers de l’indice Gini qui montre une fragmentation croissante des niveaux de vie au sein même des frontières nationales. Même dans les pays en développement, la croissance n’a pas suffi à contenir cette poussée des inégalités internes, comme le confirme la Banque mondiale.

Pour illustrer ces tendances, voici comment elles se manifestent concrètement :

  • Dans les pays émergents, la progression des classes moyennes a permis une amélioration générale, mais la part de la richesse concentrée chez les 10 % les plus aisés continue d’augmenter.
  • Dans les pays développés, les revenus des plus modestes stagnent, alors que ceux qui détiennent du capital voient leur fortune s’accroître à un rythme inédit.

Le dernier rapport social mondial ne mâche pas ses mots : la promesse d’un développement partagé n’est toujours pas tenue. Les moyennes globales masquent une aggravation des écarts, qui pèse lourdement sur la cohésion sociale et met en péril la stabilité économique mondiale.

Pourquoi les écarts de richesse freinent-ils la croissance ?

Les écarts de richesse ne se limitent pas à une question de justice sociale. Ils freinent la croissance économique et fragilisent la société tout entière. C’est la thèse défendue de longue date par François Bourguignon, figure incontournable de l’économie à Paris. Ses recherches démontrent qu’un excès d’inégalités réduit l’investissement dans des domaines clés comme l’éducation et la santé, deux piliers de la productivité sur le long terme.

Quand les plus fortunés accaparent l’essentiel des revenus, la consommation stagne, car une grande partie de la population n’a tout simplement pas les moyens de soutenir la demande. Résultat : l’emploi se contracte, la croissance s’essouffle, et l’innovation perd en vigueur, faute d’accès aux ressources pour entreprendre ou se former. Ce schéma se répète dans les pays développés comme dans ceux en développement.

Dans les nations les plus riches, la mobilité sociale se grippe, l’investissement dans le capital humain décline, et l’ascenseur social reste à l’arrêt. Du côté des économies émergentes, les inégalités internes creusent un fossé grandissant entre villes et campagnes, rendant plus difficile l’émergence d’une classe moyenne solide et dynamique.

Les analyses suivantes mettent en lumière les conséquences concrètes de ces disparités :

  • Selon la Banque mondiale, des inégalités de revenus persistantes ralentissent considérablement la lutte contre la pauvreté.
  • Les études de Bourguignon rappellent que la mondialisation, si elle n’est pas accompagnée de politiques de redistribution, tend à amplifier ces déséquilibres.

Au-delà du simple partage des richesses, c’est la capacité collective à bâtir une croissance inclusive et durable qui est mise à l’épreuve.

Des conséquences sociales et politiques qui dépassent l’économie

Les inégalités mondiales débordent largement du cadre économique. Elles s’infiltrent dans les rapports sociaux, ébranlent la confiance dans les institutions et fragilisent les équilibres politiques. Les recherches de Thomas Piketty et Branko Milanovic montrent que la progression des inégalités de revenus nourrit la défiance, exacerbe les tensions et affaiblit le socle du contrat social.

Dans les pays riches, toute une génération issue des quartiers populaires se sent exclue d’un système qui promet beaucoup mais tient peu. En France, le débat public s’enlise sur la question du mérite, alors même que la mobilité sociale reste gelée. Les inégalités internes accentuent la distance entre le centre et la périphérie, entre les diplômés et ceux qui peinent à s’insérer sur le marché du travail. Ailleurs, en Asie du Sud ou sur le continent sud-américain, la polarisation des revenus peut aller jusqu’à menacer la stabilité politique.

L’indice de Gini, qui mesure la dispersion des revenus, affiche un creusement inquiétant dans de nombreux pays. Plus il grimpe, plus la cohésion collective s’effrite. La Banque mondiale relève que les sociétés les plus inégalitaires enregistrent plus de criminalité, de corruption, de tensions sociales.

Voici quelques effets sociaux et politiques observés là où les écarts internes se renforcent :

  • La montée des inégalités internes alimente un profond sentiment d’abandon.
  • La méfiance envers les dirigeants s’étend, et des mouvements populistes prospèrent sur ce terrain miné.

Loin de se résumer à un enjeu d’équité, les inégalités menacent l’équilibre démocratique et la capacité des sociétés à relever les défis du XXIe siècle.

Femme âgée assise dans un marché en plein air avec un manteau usé

Vers une croissance plus inclusive : quelles pistes pour réduire les inégalités ?

Revenir à une réduction des inégalités s’impose comme une voie incontournable pour dynamiser la croissance économique à l’échelle mondiale. Les analyses de François Bourguignon et Branko Milanovic convergent vers la même idée : répartir la richesse de façon plus équitable stimule la demande, renforce la cohésion et encourage l’innovation. Mais comment traduire ces principes dans des politiques concrètes ?

Plusieurs pistes sont sur la table. La fiscalité progressive, classique mais toujours d’actualité, offre un levier puissant. En France comme ailleurs, ajuster la taxation sur le patrimoine et les transmissions, couplé à une lutte rigoureuse contre l’évasion fiscale, permettrait de mieux répartir les richesses. La Banque mondiale souligne que l’investissement public dans l’éducation et la santé est un rempart efficace contre l’élargissement des écarts de niveaux de vie et favorise la mobilité sociale.

Pour agir efficacement, plusieurs actions complémentaires peuvent être envisagées :

  • Faciliter l’accès à l’emploi par la formation continue et la reconversion professionnelle.
  • Renforcer les filets de protection sociale pour amortir les chocs économiques.
  • Concevoir des politiques de logement abordable et des services publics accessibles de qualité.

Et l’enjeu dépasse largement les pays riches : les pays émergents aussi doivent repenser leur trajectoire, afin d’éviter un creusement inexorable des inégalités internes. Le rapport social mondial insiste : il faut une coordination internationale, car la mondialisation expose chaque pays aux arbitrages fiscaux et à la concurrence sociale déloyale. S’attaquer à la hausse des inégalités mondiales, c’est aussi affirmer la légitimité démocratique et offrir à chaque génération une perspective d’avenir.

Rien n’est figé : la redistribution, si elle s’accompagne de choix politiques clairs, peut changer la donne. Laisser filer les écarts, c’est prendre le risque d’un avenir fracturé. Qui veut vraiment d’une croissance bâtie sur un terrain aussi instable ?